Dimanche 15 octobre
J’ai rendez-vous, heure d’arrivée, entre 14 et 15 h.
Je n’arriverai qu’à 15 h.
Marie-France m’attend et m’informe d’autres visites que la mienne.
Son ancienne instit’ de maternelle revient la voir souvent depuis la
parution du livre « J’irai voir la mer à vélo » mais aujourd’hui elle lui
réserve une surprise, quelqu’un qu’elle sera contente de retrouver.
Marie-France a sa petite idée mais ne cesse de regarder par la fenêtre.
Pépène est toujours là, trois années de séparation tentent de s'effacer.
La jeune manouche, comme elle aime se nommer, prépare à manger.
Marie-France fera aujourd’hui exception à son habitude alimentaire, elle
mangera de la viande, un steack hâché pour ne pas trop avoir à mâcher.
Depuis quelques années elle est plutôt végétarienne, n’envoie plus ses
bêtes à l’abattoir, même ses vieilles vaches qui ne produisent plus de lait
depuis longtemps.
La plus âgée à 22 ans.
Mon entretien « littéraire » vire à l’entretien « laitier ».
Marie-France elle est la seule personne, parmi celles qui envoient le lait à
la laiterie de St Malo, qui trait encore à la main.
Des voix dehors. Regard par la fenêtre.
Sœur Annick, accompagnée d’une femme et d’un homme.
Marie-France est comme une gamine,
Je me doutais que c’était elle, 40 ans que je ne l’ai vu, j’étais en CE1.
Rires de retrouvailles. Souvenirs de classe, lien avec ce qui est dit
dans le livre, d’elle et des petits gitans. Encore une fois Pépène appuie sur
sa presque mère qu’est Marie-France et, très fière, re-raconte que c’est elle
qui lui a appris à lire et à écrire. Sa fille aînée Laïla Carmen connait le
livre par cœur, fière de voir sa famille dedans.
On en revient au livre.
Comment c’est arrivé toi qui ne sort jamais de ta ferme ?
Et l’histoire se révèle.
Cet homme qui un jour l’a aidée à rentrer ses vaches parce qu’elles étaient
égaillées sur la route. Ce même homme disant à son fils
photographe :Va là-bas j’ai rencontré deux femmes, la mère et la fille qui
vivent dans une ferme d’un autre temps.
Ce fils photographe, photographiant puisque là pour ça.
Et puis, l'expo est montée, terminée, appréciée mais, a manqué de
textes, souffle le photographe Stephane Maillard à Marie-France.
J’ai ce qu’il faut lui répond-t-elle.
C’est à ce moment-là que le livre commence à devenir.
Cette femme atypique, dévouée aux travaux de la ferme et à ses bêtes,
lui révèle l’existence de centaines de feuillets de sa main. Elle écrit, la
nuit, depuis l’âge de ses 13 ans, jour où son ami Joseph, le petit gitan
voisin de classe et de champs, meurt fauché par une voiture. Sans cela elle
serait devenue folle. Marie-France me confie que Stephane Maillard le
photographe et elle, conversent de plus en plus, mais ceci hors de la vue
de la maman qui n’a qu’une peur, celle que sa fille soit embarquée hors de
la ferme. L’expo d’accord, un livre non, alors on se donnait rendez-vous
dans un champ loin de la maison…
Une journaliste est appelée à la rescousse pour mettre en forme tous ces
écrits mais je n’en saurais pas plus, les questions souvenirs des anciennes
institutrices ont éparpillé les feuillets. France, comme on l’appelle ici,
cherche un petit coin de libre sur la table, pousse du revers de la main les
miettes et autres résidus, s’en va chercher au frais des bulles de Saumur et
sort un gâteau roulé marbré de son emballage protecteur. J’assiste aux
souvenirs d’école, à la vie du village Mont-Dol ou de la ville de St Malo.
Ici c’était, les enfants de paysans à l’école privée et nous enfants
d’ouvriers à l’école laïque (révolutionnaire) m’avait raconté quelques
jours plus tôt, le voisin depuis tout temps de Marie-France. Même âge,
même jeux d’enfance mais pas même école. Voisin rencontré sur le terrain
communal où nous étions posés, la roulotte, le petit camion blanc et les
ânesses. Il venait, en tant que conseiller municipal du Mont-Dol, s’assurer
que les bêtes resteraient bien éloignées des arbres fraîchement plantés.
Nous avons parlé de Marie-France. Ici elle est connue de tous et appréciée
de tous, malgré parfois le fossé vertigineux de mode de vie, de niveau de
vie.
Dans la ferme, je tente d’orienter la conversation sur l’autre livre, le 2ème,
où seuls les mots de l’auteur sont. Livre à une seule voix mêlée à celles de
ses ancêtres. Le téléphone sonne, j’entends Marie-France parler dans une
langue que je ne connais pas même si je chope quelques mots. Je n’y
arriverai pas. Pépène est aux aguets, elles parlent entre elles … en
manouche. La communauté a besoin d’aide, de conseils de leur amie.
Une des vieilles gitanes de la veille pousse la porte, essoufflée. Elle me
parle à moi, mais si hier je la comprenais, là j’ai besoin de traduction.
Marie-France m’explique, un souci de santé de l’un d’eux qui s’est
aggravé. Marie-France le relais, le pont entre deux mondes, celui de la
norme et celui des exclus, elle-même en marge de la société…
Je remballe mes livres et décide de revenir un autre jour, le mercredi.
Ce nouveau jour, la roulotte stationnera en bord de mer, au pied d’un
château duquel je mis quelques temps pour comprendre qu’il était celui
d’Olivier Roellinger. Nous sommes arrivés par la mer et n'avons vu
aucune indication du lieu.Ce château, lieu de la cuisine du grand chef
étoilé. Siège des épices, inventions, saveurs de la route des Indes. Une
invitation aux voyages, à la littérature, création de beaux livres avec
Christian Lejalé.
Me plait cette idée d’aller, sur un territoire si petit, d’un monde à l’autre,
dans leurs extrêmes.
De la pauvreté de la ferme des Grands Champs, au luxe du château de
Richeux, deux lieux pour écrire.
Château Richeux et Ferme des Grands Champs
( à suivre... pour la journée du mercredi avec Marie-France et pour l'approche de l'univers Roellinger)
et aussi sur facebook : Clodine Porte-Plume